Bien Vieillir, une réalité et un objectif

Billet du 02/03/2018

Par Dr Bernard CROISILE, Neurologue des Hôpitaux, docteur en neurosciences, Service de Neuropsychologie, Fonctions cognitives, Langage et Mémoire, Hôpital Neurologique de Lyon

Contrairement à ce que l’on martelait il y a 40 ans, l’humanité ne rajeunit pas, elle vieillit. En 1900, en France, l’espérance de vie à la naissance était de 45 ans pour les hommes et 49 ans pour les femmes, mais ces chiffres bas s’expliquaient en partie par l’importante mortalité infantile de l’époque, et de fait, l’espérance de vie d’une personne ayant atteint l’âge de 20 ans était bien supérieure à 50 ans. Il existait des octogénaires et des nonagénaires à la cour de Louis XIV… qui mourut à 77 ans.

Vous avez dit « vieillir » ?

Entre 1940 et 2010, l’espérance de vie à la naissance s’est énormément rallongée, puisqu’elle est passée de 60 à 78,2 ans pour un homme, et de 65 à 85,3 ans pour une femme. Cette longévité accrue est liée à la conjonction de la réduction de la mortalité infantile, tendance qui a débuté dès le début du 20e siècle, et de la diminution de la mortalité des sujets plus âgés observée depuis la seconde moitié du 20e siècle. Si les êtres humains vieillissent longtemps et dans de bonnes conditions, c’est parce que les médecins (si malmenés maintenant) et l’industrie pharmaceutique (si décriée actuellement) ont obéi aux exigences de toutes les civilisations depuis 6 000 ans : soigner les personnes, guérir les maladies et retarder la mort.

Certes, on vit plus longtemps, mais le plus important est de conserver la pleine possession de ses capacités physiques et mentales. Or, dans les pays occidentaux, ce temps gagné sur la mort coïncide souvent avec des mois en mauvaise santé, car l’espérance de vie en bonne santé s’accroît moins vite que l’espérance de vie tout court.

Une lueur d’espoir : les nonagénaires iraient mieux

Entre 1980 et 2010, le nombre des nonagénaires en France est passé de 720 000 à 1,5 millions. Une étude danoise a montré que 1 584 nonagénaires nés en 1915 (évalués en 2010) avaient une plus grande autonomie dans les actes de la vie quotidienne (courses, repas, transports) et des capacités cognitives supérieures à celles de 2 262 nonagénaires nés en 1905 (évaluées en 1998). En outre, la probabilité d’atteindre l’âge de 93 ans était accrue de 28 % dans la cohorte de 1915 par rapport à celle de 1905. La meilleure autonomie des nonagénaires nés en 1915 a plusieurs explications : meilleures conditions de vie, niveau d’éducation supérieur, meilleur traitement des facteurs de risque cardio-vasculaire, amélioration des aides à la mobilité, effet positif de l’amélioration cognitive sur l’adaptation au handicap physique, diffusion des moyens modernes de communication qui facilitent la qualité de vie. L’accroissement de la longévité n’a donc pas pour corollaire inéluctable une augmentation de la dépendance.

Comment les Français imaginent-ils leur vieillesse ?

La principale inquiétude des Français est celle de la perte d’autonomie, pas seulement physique mais aussi cognitive. Comme toujours, la tête et les jambes ! Cette inquiétude a été confirmée en mars 2017 par une enquête IFOP missionnée par le réseau Adhap Services chez 1 002 personnes de plus de 18 ans. La perte d’autonomie est globalement redoutée par 57 % des personnes, et 66 % des personnes de plus de 50 ans. Vieillir à domicile est envisagé comme possible par 87 % des personnes. Les facteurs de ce maintien sont l’intervention d’aides aux seniors (80 %), des moyens financiers suffisants (58 %), un entourage familial, l’obtention d’aides publiques (26 %) et l’apport des nouvelles technologies (14 %).

 

Ainsi, les Français considèrent qu’ils ne peuvent plus compter sur leur famille comme autrefois et pas du tout sur la collectivité. Les assurances dépendances n’interviennent qu’à un stade avancé de la perte d’autonomie, et d’ailleurs certaines compagnies commencent à exclure la maladie d’Alzheimer de leur couverture, ce qui est un comble puisque 75 % des résidants d’un EHPAD souffrent d’une maladie d’Alzheimer ou apparentée. L’émergence des nouvelles technologies – qu’on ne devrait plus appeler ainsi car elles existent depuis près de 30 ans, mais plutôt les technologies digitales – est encore timide, car les seniors ne sont pas nés avec, attitude qui changera dans les prochaines décennies avec le vieillissement des générations digitales. La grande difficulté pour ceux qui élaboreront les prochaines orientations publiques sur la dépendance sera de comprendre la différence entre aides et soins, et de les combiner.

À quel âge ?

Médicalement parlant, impossible de dire quand on est jeune, ni quand on est vieux. C’est la société qui définit la vieillesse, par ses lois (« vous n’êtes plus en situation de travailler ») et par son regard (« vous êtes un vieillard »). Biologiquement, il existe bien sûr une usure des articulations, des muscles, des yeux, du cœur, de la digestion, des reins, du foie, bref, tout fout le camp, mais pour ce qui est du cerveau, le constat est, heureusement, plus mitigé. Notre perte de neurones est compensable par la possibilité de créer de nouveaux neurones et de nouvelles connexions entre eux.

 

L’étude de la cohorte britannique Whitehall II a montré en 2012, chez plus de 7 000 personnes âgées de 45 à 70 ans et suivies pendant 10 ans, que leur mémoire (d’une liste de 20 mots), leur rapidité cognitive et leur capacité à raisonner déclinaient dès l’âge de 45 ans. Il existait en revanche une amélioration du vocabulaire avec l’âge (trouver 33 synonymes), et il a même été reproché aux auteurs de l’étude de ne pas avoir suffisamment souligné ce point capital d’un bénéfice clair sur la richesse du vocabulaire.

 

En fait, l’évolution avec l’âge de nos fonctions cognitives est hétérogène, dans certains secteurs il s’agit d’un déclin, mais d’une progression pour d’autres. Dire que la mémoire s’affaiblit avec l’âge est stupide, car le problème est plus complexe : s’il est vrai que l’on a plus de mal à apprendre par cœur, on a en revanche beaucoup plus de savoirs disponibles au fil du temps. Si l’on retrouve plus difficilement un mot, notre vocabulaire s’enrichit régulièrement. Enfin, si l’on raisonne et décidons moins vite, notre expérience et notre créativité se sont accrues.

 

Dans les anciennes cultures, vieillir s’accompagnait toujours de connotations positives : les jeunes étaient guerriers, chasseurs ou agriculteurs, alors que les femmes âgées (parfois qualifiées de sorcières ou de devineresses) étaient gardiennes des remèdes et de la sagesse, tandis que les augustes vieillards conservaient aussi la mémoire du passé et la possibilité de prédiction. Bref, ces vieux de 50 ans, mais parfois plus, bénéficiaient d’une aura positive pour la mémoire.

 

Les seniors sont plus lents mais plus avisés, plus sages, plus créatifs. Wagner a composé son dernier opéra Parsifal à 69 ans, et c’est à 80 ans que Verdi a composé Falstaff, son dernier opéra. En 1940, Winston Churchill est devenu Premier ministre à 65 ans, et en 1958, De Gaulle est revenu au pouvoir à 67 ans. Ils n’ont pas vraiment démérité. L’humanité se réjouit de leur vitalité, de leur créativité, nous les en remercions chaleureusement… Vivent les vieux !

Pour en savoir plus :

Bernard Croisile. Tout sur la mémoire. Éditions Odile Jacob (2009).

Bernard Croisile. Alzheimer : que savoir, que craindre, qu’espérer ? Éditions Odile Jacob (2014).

Christensen K, et al. Physical and cognitive functioning of people older than 90 years: a comparison of two Danish cohorts born 10 years apart. Lancet. 2013 Nov 2: 382(9903): 1507-1513.

Singh-Manoux A, et al. Timing of onset of cognitive decline: results from Whitehall II prospective cohort study. BMJ. 2012 Jan 5; 344:d7622.

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